Avant de s’attaquer au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, auquel un hommage national a été rendu, mercredi 28 mars, Radouane Lakdim avait tué trois personnes lors des attentats dans l’Aude, vendredi : Jean Mazières, à Carcassonne, et Christian Medves et Hervé Sosna dans le Super U de Trèbes.
Jean Mazières
« Généreux », « honnête », « bon vivant », les qualificatifs sont soigneusement choisis. Puis Marc Rofès, le maire de Villedubert (Aude), résume en une phrase : « Jean, il faisait partie de ce qu’on appelle les gens bien, avec toute la noblesse que portent ces mots. » A la tête de cette petite commune de 350 habitants à 6 kilomètres au nord-est de Carcassonne, « un village sous le choc », M. Rofès connaissait Jean Mazières « depuis cinquante ans ». Ce retraité de 61 ans, passager de la voiture volée par Radouane Lakdim, a été la première victime, vendredi 23 mars au matin, de l’assaillant du Super U de Trèbes.
Viticulteur à la retraite « depuis une paire d’années », Jean Mazières avait repris le domaine de son père. Ses amis décrivent un homme de la vigne et du terroir, très attaché à ses origines. « Il connaissait l’histoire du village par cœur, raconte Marc Rofès, lui aussi natif de Villedubert. C’était la troisième ou quatrième génération de Mazières sur la commune. » Même s’il aimait voyager dans la région, à Toulouse, en Espagne, le néoretraité ne s’éloignait jamais trop longtemps. « Il était un Villedubertois à fond. C’était un élément important du village, Jean », témoigne Guadeloupe Catuffe. Cette habitante de Villedubert le connaissait très bien : son mari, Didier, président du comité des fêtes depuis trois ans, était l’un de ses amis d’enfance.
« J’aimerais un petit peu qu’on se penche sur les autres victimes qui sont mortes, parce qu’il y a beaucoup de douleur »
Au comité des fêtes, Jean Mazières, marié et père d’un fils de 19 ans, était toujours là quand il fallait donner un coup de main, résument ses proches. Pas le dernier à vouloir danser ou entamer une partie de pétanque. « C’est quelqu’un qui aidait énormément, mais qui était discret, dit Guadeloupe Catuffe. Quand il y avait des gens extérieurs du village, il était un peu plus timide, mais dès qu’on le branchait c’était fini, il partait au quart de tour. » Jean Mazières aimait « rire et raconter des bêtises autour d’une table ». « Comme dit mon mari, il avait le coup de fourchette incroyable », poursuit-elle.
Jean Mazières, qui habitait en bas de Villedubert, dans la partie de l’« ancien village », était connu de tous ceux qui s’impliquaient dans la vie de la commune. « Le lieutenant-colonel Arnaud [Beltrame], le pauvre, il a été magnifique, il n’y aura pas de mots pour qualifier cet homme, il mérite tout ce qu’on fait pour lui, mais j’aimerais un petit peu qu’on se penche sur les autres victimes qui sont mortes, parce qu’il y a beaucoup de douleur, confie Guadeloupe Catuffe. Il n’y a pas trop de tralala pour eux, et c’est un peu dommage. »
Le 14 avril, le comité des fêtes devait organiser une soirée repas, où il était prévu de partager un fréginat, un plat local à base de haricots et de porc. Jean Mazières en avait proposé l’idée quelques jours avant le drame. Les membres du comité ont d’abord pensé l’annuler. Ce ne sera finalement pas le cas, la femme du viticulteur ayant souhaité que l’événement ait lieu. L’occasion de lui rendre hommage autour de ces plats qu’il aimait partager avec un bon vin et des amis.
Hervé Sosna
Sa journée avait commencé comme tant d’autres… Hervé Sosna est mort alors qu’il faisait ses courses, comme chaque semaine, au Super U de Trèbes. Discret, cet habitant « ne faisait vraiment pas parler de lui, même si tout le monde le connaissait, ici », a raconté à L’Indépendant son demi-frère, William Durand. Maçon à la retraite, âgé de 65 ans, Hervé Sosna était « viscéralement attaché » à sa commune, où il avait toujours vécu. Plus jeune, on lui avait proposé de travailler à Carcassonne, mais « il avait refusé, car même Carcassonne, c’était trop loin de Trèbes », explique M. Durand. Une grosse poignée de kilomètres seulement sépare pourtant les deux villes.
Célibataire, Hervé Sosna avait perdu sa mère il y a peu. Un décès qui l’« avait énormément marqué » et « atteint psychologiquement », selon William Durand. Vendredi 23 mars, de longues heures après l’attaque, les proches de l’ancien maçon sont restés dans un état de stress intense, ne sachant pas ce qu’il lui était arrivé. « On a angoissé, et ce n’est que dans la nuit qu’on est venu nous informer de sa mort », a confié Rachel, sa nièce, à L’Indépendant. Au quotidien local, William Durand a décrit un homme cultivé, grand lecteur et amateur de poèmes. « Mon frère était discret, très intelligent, et il s’est fait tuer comme ça… »
Très émus et ne souhaitant plus s’exprimer dans les médias, ses proches ont assisté à la messe en hommage aux victimes de l’attaque, dimanche 25 mars, à l’église Saint-Etienne de Trèbes.
Christian Medves
Le 10 mars 2018, Christian Medves avait célébré ses 50 ans avec ses amis, ses proches, dans une salle de Trèbes, pas loin de l’Aude et du canal du Midi. Une belle fête comme ce boulimique de la vie les aimait, joyeuse et conviviale, allant jusqu’au bout de la nuit. Tué vendredi 23 mars à l’entrée du magasin Super U de Trèbes, où il dirigeait la boucherie depuis plus de quinze ans, Christian Medves semblait, aux yeux de tous ceux qui le connaissaient, habité d’une énergie sans borne.
Né à Carcassonne, dans le quartier populaire de Grazailles, au printemps 1968, cet Italien d’origine, dont le patronyme remonterait même jusqu’en Hongrie, avait appris ce métier de boucher puis était venu s’installer à Trèbes, d’où on garde encore une vue sur les remparts de la cité médiévale. Avec Nathalie, son épouse depuis vingt-cinq ans, qui tient un salon de coiffure à Carcassonne, Christian Medves avait fait construire une jolie maison, pour élever leurs deux filles, Julie et Florine. « Christian était leur héros…, raconte Franck Alberti, avocat et ami depuis l’école primaire, et il serait sûrement devenu celui de sa petite-fille, qu’il adorait déjà. »
« Christian avait un caractère exubérant mais agréable, toujours dans l’action »
Christian Medves s’investissait avec autant d’envie dans tout ce qu’il entreprenait. « Il me disait souvent : “On est de Grazailles !” Pour lui, cela voulait dire : “On y va à fond !” », se souvient encore Franck Alberti. Au Super U, où son service débutait régulièrement à 6 heures du matin, il avait été élu délégué du personnel en octobre 2013. Puis, au sein de la CFDT de l’Aude, dont il était adhérent depuis 2009, membre du bureau du secteur des services. A l’union départementale, rue Armagnac à Carcassonne, on avait pris l’habitude de voir la moto trail de Christian Medves garée devant la porte. « Il avait également souhaité devenir conseiller du salarié et il donnait son temps sans compter pour aller soutenir des personnes en procédure avec leur entreprise », témoigne Jérôme Gonzalez, ami et collègue, avec qui Christian Medves pilotait la section CFDT au sein du Super U de Trèbes.
En 2014, le chef boucher, avec qui les clients adoraient faire un brin de causette au-dessus du rayon, s’était offert, avec son ami Franck Alberti, une petite aventure politique. Treizième sur la liste classée divers droite « Ensemble pour Trèbes », il avait fait la campagne avec son habituel sens du contact et récolté 17 % des voix au premier tour. Au sein de l’association Tres Bes, Christian Medves était aussi le « maître des cérémonies », celui qui pilotait les grands pique-niques conviviaux dans un grand champ au bord de l’Aude. « Au propre comme au figuré, il passait son temps à crier à la vie. Christian avait un caractère exubérant mais agréable, toujours dans l’action », complète l’avocat.
Son énergie, Christian Medves la mettait aussi dans sa passion pour la course à pied. « Il y a quelques années, il s’était arrêté de fumer et s’était pris en main », raconte Jérôme Gonzalez. Plusieurs fois par semaine, aux alentours de Trèbes, on pouvait voir sa grande silhouette de plus d’un 1,80 m, gabarit sec et musclé, filer sur les chemins entre les vignes. En 2016, il avait fini 117e du semi-marathon de Carcassonne. En 2017, il avait bouclé la course au pied des remparts de « sa » cité en 1 heure et 46 minutes. En 2018, Christian Medves ne sera pas au départ. Arrêté dans sa course par la folie terroriste.
Source : Le Monde
Auteurs : Yann Bouchez et Gilles Rof
Date : 28/03/2018